Monday, June 28, 2010

Le loup et l'agneau : G20 à Toronto

Ces deux derniers jours ont été mouvementés à Toronto, à l'occasion du G20.

Samedi 26 juin, les manifestations pacifistes en marge de la réunion des Chefs d'Etats ont été parasitées et certains groupes organisés et d'autres casseurs isolés ont semé le trouble sur la ville. Les manifestants revendiquaient la libération de prisonniers vietnamiens et tibétains, l'arrêt du massacre des phoques pour leur fourrure, l'abolition de l'économie capitaliste, et protestaient contre un Etat policier.

Après le passage de ces cortèges à l'ambiance bon enfant, plusieurs portions du centre-ville ont été le théâtre d'échauffourées. Des groupes d'activistes anarchistes et anticapitalistes adeptes de la tactique Black Bloc, vêtus de noir des pieds à la tête, s'en s'ont pris à des symboles du capitalisme (banques, cafés Starbucks, vêtements de marque...) avant de généraliser leurs attaques sur les commerces sans distinction particulière.

Plusieurs voitures de polices ont également été incendiées. A l'angle de Queen Street W et Spadina Avenue, les forces de l'ordre ont abandonné deux véhicules de patrouille face à l'agressivité des manifestants qui s'en sont donné à coeur joie avec les sirènes et les hauts-parleurs, avant de mettre les deux voitures hors-service. Quelques minutes plus tard, l'un des véhicules a pris feu. Un homme visiblement sous l'emprise d'une drogue avait commencé à se déshabiller sur le toit du véhicule alors que celui-ci commençait à brûler. En essayant d'attiser le feu il a inhalé des fumées et s'est mis à vomir sur la chaussée. Aidé par des badauds qui lui ont donné de l'eau, le jeune homme s'est relevé pour aller récupérer sa veste sur le capot du véhiculé qui était déjà englouti par les flammes, ainsi qu'une trompette qui trainait sur le trottoir. Deux agents municipaux l'ont interpelé quelques instants plus tard.

Le déploiement des forces de réponse anti-émeute était à la hauteur du budget alloué à son organisation : près de 1 milliard de dollars canadiens. Le district financier était quadrillé, et les forces de l'ordre ont opéré un nettoyage méthodique du sud-est au nord-ouest en formation serrée. A part quelques noyaux durs de manifestants radicaux prêts à en découdre avec la police, les rassemblements se sont essoufflés et dispersés sans violence.

Détail marquant : dans la foule, on comptait presque autant de photographes que de manifestants, parfois même plus. Journalistes accrédités étaient mêles aux blogueurs en tous genres et photographes en herbe. La police a d'ailleurs invité la population à lui transmettre leurs photos afin de faciliter l'identification des casseurs.

Dimanche matin, Toronto s'est réveillé en douceur, mais avec une légère gueule de bois. Les forces anti-émeutes s'étaient retirées, mais la présence policière en centre-ville n'en était pas moins importante. A chaque intersection du District Financier se trouvaient en moyenne 10 agents municipaux, et des patrouilles en voitures, à pieds et à vélo ont procédé à des fouilles et des arrestations toute la journée. Tout individu qui portait un sac à dos était systématiquement fouillé, et arrêté en cas de résistance. La police a également effectué une descente sur l'Université de Toronto au petit matin et a interpellé une soixantaine d'étudiants, dont certains avaient dans leur sacs des briques et des bâtons.

Aux abords du périmètre de sécurité et de sa barrière de 3 mètres de haut, j'ai assisté à l'arrestation de Kerry B., une jeune femme de 33 ans. Alors qu'elle circulait en vélo autour du périmètre, les forces de l'ordre l'ont enjointe à s'éloigner de la zone. Elle leur a rétorqué être dans un pays démocratique et libre de circuler sur la voie publique. Les poignets liés par des menottes en plastique, elle m'a demandé de contacter son ex-mari afin de prévenir ses enfants de son arrestation et de leur demander de ne pas sortir aujourd'hui. A cette heure, je n'ai toujours pas de nouvelles de cette jeune femme.

Au même endroit, j'ai discuté avec Ivana et Dustin. Embauchés par le traiteur en charge de la distribution des repas des agents de police à l'intérieur du périmètre de sécurité, ils ont été appelés en renforts ce matin, mais la société qui les emploie n'avait pas prévu le nombre d'accréditations nécessaires. Les deux jeunes gens ont donc attendu toute la matinée devant la grille sans savoir s'ils allaient pouvoir travailler.


En l'espace de 30 minutes, j'ai été interrogé par la police 3 fois.


Dans l'après-midi un rassemblement de cyclistes s'est tenu devant le centre de détention aménagé pour l'occasion dans un ancien studio de cinéma sur Eastern Street. 80 agents des forces anti-émeutes ont été appelés afin de disperser la foule. Devant le refus de partir d'une partie des manifestants, les forces de l'ordre ont chargé, faisant usage de pistolets à gaz. Au même moment, un groupe religieux avait organisé une veillée de prières en centre-ville.

Un des évènements les plus sombres de ce weekend a eu lieu dimanche en fin de journée. Les forces de l'ordre ont encerclé un groupe d'individus sans distinction entre manifestants, passants et journalistes à l'intersection de Queen Street W et Spadina Avenue, et ont tenu leurs positions pendant près de 5 heures, sous une pluie torrentielle. Sans donner aucune explication aux personnes sur place, ou même à la presse, ils ont menotté et interrogé une à une les personnes encerclées afin d'interpeler des manifestants reconnus comme ayant participé aux émeutes de la veille. Peu avant 22h, les agents ont ouvert leurs rangs et laissé partir ceux qui n'avaient pas déjà été arrêtés sans aucune explication. Au total, il semblerait que près de 100 arrestations aient été effectuées. Selon des témoignages, la police aurait laissé partir les quelques 150 personnes restantes par manque de place dans les véhicules chargés du transport des suspects vers le centre de détention.

Un porte-parole de la police, Staff Superintendant Jeff McGuire a déclaré que cette action était justifiée dans le cadre d'une perturbation de l'ordre public, et que ces interpellations étaient le prix à payer par les citoyens pour garantir le maintien de l'ordre. Il a ensuite ajouté qu'il ne s'excusait pas, répétant que cette intervention était justifiée.

A 23h, le calme est revenu sur la ville et les patrouilles de police se font rares. Même le périmètre de sécurité a été rouvert par endroits, et des civils sans accréditations ont été vus à l'intérieur du périmètre. Mais les torontois sont sous le choc, et ne comprennent toujours pas ce qui a pu motiver une telle action. Par ailleurs, plusieurs témoignages dénoncent les conditions de détention du centre de Eastern Street :les cellules, décrites comme de simples cages vissées au sol aux conditions d'hygiène déplorables, étaient pleines à craquer (40 personnes dans 13m²), l'impossibilité de parler à un avocat ou à des membres de la famille, le traitement irrespectueux de la part des gardes.

Beaucoup de réponse devront être apportées par les autorités dans les jours qui viennent.

Budget "défense" : $1.000.000.000
Voitures de police incendiées : 4
Plaques de bois utilisées pour condamner les commerces touchés : >2000
Arrestations : 562 (Edit : lundi matin, ce chiffre est monté à 900)

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